Grandes Vacances ( juillet 68 )
Avec mes copains Francis et Claude ( dit Maurice) nous décidons de « descendre » sur la Côte d’Azur. Le trajet se fait dans la 2-chevaux verte de Francis. En ce temps là on ne disait pas une « deuch » , encore moins une « de-deuch ». Sur la carte de France j’ai tracé une ligne droite entre Valenciennes et Agay ( Saint-Raphael ) notre destination finale. Comme nous sommes trois à conduire le trajet sera non-stop. « Elle roule pas vite, mais on a une impression de vitesse » déclare avec philosophie le placide Francis. Dans la côte de Vizille je me demande tout de même si nous n’allons pas caler. Dans le rétroviseur une interminable file de vacanciers sans doute favorable aux jeunes – ou aux 59 ? – prends son mal en patience. Tout de même, presque à destination, nous nous endormons entre deux rangées de vignes.
Camping de « la pinède » à Agay. Les tentes sont tellement proches qu’en me retournant la nuit, je donne des coups de coudes à une Hollandaise que seules deux épaisseurs de toile séparent de moi. La grande affaire en cette mi-juillet c’est la finale du Tour de France : Van Springel le belge contre Jan Jansen le Hollandais ; nos voisines ont emmené le “transistor” à la plage ! De retour de la baignade : un fourgonr de gendarmerie devant l’accueil. « Tiens, il doit y avoir eu un vol dans le camping ». Nous dirigeant vers notre emplacement nous suivons deux pandores. On dirait que c’est dans notre coin. «Habillez vous on vous embarque » nous bousculent-ils alors que nous arrivons à la tente. L’un arrache une feuille de papier noir sur les deux faces accrochée comme un fanion à l’un des tendeurs. Il s’agit d’une page détachée du numéro de juillet d’Hara-Kiri ( journal bête et méchant, lointain ancêtre de Charlie Hebdo) et qui était ainsi présentée : « ce drapeau vous est offert par Hara-Kiri, accrochez le à votre balcon le jour du 14 juillet, vous aurez du succès, surtout si vous habitez sur les Champs-élysées » Les premiers vêtements qui me tombent sous la main sont un pantalon et un pull rouge. « Toi arrête de faire le malin, je t’ai à l’œil ». nous sommes embarqués dans l’estafette bleue devant un attroupement de campeurs silencieux. A la gendarmerie d’Agay, nous apprenons que la raison de notre interpellation serait que des cambriolages auraient eu lieu dans la zone de Saint-Tropez. Mais nous apprenons aussi que lors d’une visite de routine comme en font partout les gendarmes –« rien de particulier à signaler ? » - un bon citoyen nous a signalés : Individus suspects, anarchistes. Ils ont un drapeau noir accroché à leur tente ! Or il se trouve que nous sommes tous fonctionnaires ou fils de fonctionnaires. C’est différent. « Vous pouvez repartir »
– Je peux récupérer mon drapeau ?
– Vous ne faites pas le malin, si vous ne voulez pas qu’on écourte vos vacances, vous avez intérêt à vous tenir tranquille!… «
– Vous ne nous raccompagnez pas s’enquiert Maurice ( nous sommes à une demi-heure de marche du camping
– C’est mieux pour vous ; ça la ficherait mal de rentrer en car de gendarmerie.
Dommage qu’ils ne se soient pas posé la question tout-à-l’heure !…
De retour à la pinède, la même foule est devenue, on se demande pourquoi, très favorable et même tout–à-fait sympathisante -- « on est avec vous ». Un Dupont-la-joie m’avoue même sur le ton de la confidence qu’il est encarté à la C.G.T. Encore un dangereux révolutionnaire ! Etudiants, travailleurs, solidaires, Camarade !…