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On a les 68 qu'on peut

26 mai 2008

SAMEDI 25 MAI

Depuis le début du mois, convaincu de vivre des heures historiques  je conserve les journaux. On ne sait jamais... J'ai eu raison, non ?

VDN_25_mai_1

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22 mai 2008

JEUDI 23 MAI : Soyez réaliste ; croyez à l’impossible !

J'apprends, je ne sais plus par qui, qu’une réunion a lieu au Lycée technique pour parler de la suite à donner à notre mouvement. Je devrais plutôt dire « relancer le mouvement » car plus rien ne s’est passé depuis le manif du 13 mai.

C’est l’A.G.E.L ( Assemblée Générale des Etudiants de Lille, émanation de l’UNEF ). qui a demandé que nous envoyions des représentants valenciennois à une réunion de tous les Techniciens Supérieurs du Nord. Le thème : que évolution pour la formation des techniciens supérieurs. Le débat est sérieux. Il est question de surcharge des programmes, de manque de mise en pratique de la formation, de passerelles avec les métiers d’ingénieurs. Un large consensus se dégage pour réclamer une troisième année d’étude, dont une grande partie sera consacrée à un stage en entreprise.

assemblée étudiantsJe suis désigné avec un ou deux autres, pour aller défendre cette motion à Lille, l’après-midi même.

En fait ça se passe à Annappe. L’Université occupée, s’est donnée des petits airs de Nanterre ou de Sorbonne. Nous errons dans des bâtiments inconnus à la recherche de la salle où se tient l’assemblée des techniciens supérieurs. Affiches, slogans et calicots ornent les murs. Les amphithéâtres ont été rebaptisés : “Amphi du 11 mai ”, “Amphi Cohn Bendit ”

Tous nos collègues du Nord ont répondu à l’appel, l’amphi est plein. Là également, ambiance studieuse et responsable. Refaire le monde est chose sérieuse. C’est une sensation nouvelle de devoir m’exprimer devant une assistance nombreuse, et d’être le porte-paroles de mes condisciples. L’accueil est favorable :  les idées que j’ai à défendre sont partagées par les représentants des autres villes. D’où une certaine euphorie de ma part :“ tout parait possible " ; tempérée tout même par une sourde inquiétude quant à la concrétisation de tous ces rêves. Que le futur,  hélas, confirmera.

21 mai 2008

MARDI 21 MAI : Assemblée Nationale

La grève touche de nouveaux secteurs (enseignement, textile, grands magasins, banques).

La télé retransmet les débats de l’Assemblée Nationale sur la censure. Je découvre le jeu parlementaire, les discours outrés qui me paraissent surréalistes. Des noms aussi, d’un autre temps, comme celui de Guy Mollet associé pour moi à la Guerre d'Algérie... Décidément pensé-je, nous n’avons rien à faire avec ces gens-là !… Il en est tout de même qui se détache du lot et qui, pour un peu me séduirait par son élégance glacée s’il n’incarnait pas le gaullisme : Le président de l’Assemblée, Chaban Delmas : réagissant au tumulte des tribunes (je cite de mémoire) : «  Allons Messieurs….Messieurs… Il faut bien vous attendre à entendre ici des opinions différentes des vôtres »…

Assembl_e_nationale

16 mai 2008

JEUDI 16 MAI : Les leaders étudiants à la télé

enragés à l'ORTFA la fin de TELE SOIR Léon ZITRONE annonce un débat en direct entre 3 représentants des étudiants en grève Cohn-bendit ( mouvement du 22 mars), Jacques Sauvageot (UNEF) et Alain Geismar (SeneSup ) et 3 représentants de la presse écrite. [ voir compte rendu et video sur archives de l’INA (taper 16 mai dans "recherche" : ] A l’évidence le but est de les ridiculiser et de discréditer le mouvement étudiant. C’est exactement le contraire qui se produit. Très vites débordés par une rhétorique qu’ils ne comprennent ni ne connaissent  et surtout par la verve  de Cohn-Bendit,  deux des journalistes s’écrasent piteusement ; seul Pierre Charpy de “Paris Presse” parvient à établir un semblant d’échange. L’effet est désastreux. 
Pour ce qui me concerne, avec la foi et l ‘élan de mes vingt ans je suis complètement subjugué. C’est la jeunesse et l’irrespect qui triomphent. Comment ne pas penser à cette phrase de Prévert « arrière vieillards, cessez de remuer votre langue morte entre vos dents de faux ivoire, le temps des cerises ne reviendra plus, le temps des noyaux non plus.. ».
C’est la première fois que je vois et entend parler Cohn-Bendit ; naturellement conquisje me dis qu’il y en a des dizaines de milliers d’autres jeunes, au même moment, qui ressentent la même émotion. Je crois à ce moment que le mouvement va réellement faire tache d’huile ( plusieurs usines, l’Odéon sont occupés…. ).

Pompidou 16 mai


On annonce dans la foulée que « Monsieur le Premier Ministre, va s’adresser aux français ». Georges Pompidou, tout juste rentré d’Afghanistan, l’œil sombre et le sourcil broussailleux, se veu rassurant ; il a repris les rennes. Il  annonce le retour à l’ordre, la réouverture de la Sorbonne, et la libération des étudiants emprisonnés, l’aministie. La récréation est finie.
Il minimise l'action étudiante, le fait de quelques groupes d'enragés -- « nous en avons montré quelques-uns » dit-il faisant allusion au débat qui vient de prendre fin.  Cela donne donne l’impression que lui non plus n’a rien compris.
En fait son discours vise à éviter ce que l'on nomme aujourd'hui "la convergence". Il s'adresse donc aux adultes : rassurer les possédants et dissuader les travailleurs de rejoindre le mouvement, c'est-à-dire la grêve générale. Mais l'impession est qu’il réagit dans l’urgence pour corriger la mauvaise impression donnée par cette malencontreuse interview. Nous savons aujourd'hui  que son intervention avait été enregistrée avant le débat et qu'il n'imaginait donc pas que ces trois morveux allaient damer le pion à des journalistes endurcis ; absent depuis iune semaine il n'a pas pris la mesure de la situation.
Pour les jeunes ce appel à la raison, tombe complètement à plat. Je me dis qu'il se fait des idées que ce n'est pas un froncement de sourcil qui va arrêter le mouvementT

14 mai 2008

MARDI 14 MAI : Case examen

De retour du Lycée Baggio à Lille où nous avons "planché" dix heures non-stop sur une épreuve de dessin industriel. Dans la 204 de Jean, nous sommes arrêtés par les gendarmes à la sortie de Seclin. Jean aurait oublié de mettre son clignotant en débouchant sur la nationale. Le ton est conciliant ; il faut dire que la voiture a belle apparence et que ses occupants ont l’air de petits jeunes gens bien propres sur eux. Le gendarme débonnaire a déjà lâché le traditionnel « Allez, c’est bon pour une fois » mais il se ravise : « Au fait d’où venez-vous ? »
­– De Lille ; nous venons d’aller passer des examens.
­– Etudiants !… Descendez du véhicule. Montrez nous vos papiers.
Les dits papiers sont soigneusement examinés ; on nous demande d’ouvrir le coffre… Les mines sont sévères, il s’agit visiblement de nous intimider. Ont-ils reçu des consignes, ou agissent-ils de leur propre initiative ? Je l’ignore. Qu’après les événements des derniers jours les gendarmes aient de l’animosité envers les étudiants, cela se conçoit. Je suis en revanche étonné de l’accueil reçu à l’estaminet situé en contre-bas de la route, où nous sommes entrés pour nous remettre de nos émotions. Un consommateur accoudé au comptoir nous interpelle sur le thème des « petits cons qui foutent le bordel au lieu d’étudier » Notre interlocuteur nous apprend qu’il est responsable d’une PME ; il a envie de nous parler, de comprendre - mais qu’est-ce que vous voulez au juste ? -. Et nous, de débiter les arguments cent fois entendus sur l’enseignement supérieur et l’évolution de la société. Incompréhension … Néanmoins le dialogue s’instaure. Vous reprendrez bien une bière ?… Ainsi naissait en ces premiers temps de la révolte ce qui deviendra une des plus belles images de mai 68, qu’on résume avec nostalgie par : « tout le monde se parlait, partout ; on refaisait le monde »,

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13 mai 2008

LUNDI 13 MAI ( après-midi ) : 10 ans ça suffit !

La grève générale avait été décidée à Paris samedi soir. Comment en si peu de temps, un dimanche, et dans une période apparemment calme d’un point de vue social, les syndicats réussirent à rameuter leur troupe, demeure pour moi un mystère. On peut admirer la discipline des militants, ou y voir l’effet de l’émotion produite par la première nuit des barricades, en quelque sorte la contagion. Ou se dire que le feu couvait sous la cendre.

 

 

manif_13_mai_1Toujours est-il qu’à16 heures : la place du marché, lieu de rassemblement de la manifestation, est noire de monde. Ce ne sont pas des centaines mais, si j'en crois la Voix du Nord, au moins 5.000, déjà en place sous des banderoles. Nous qui avions beaucoup de peine la semaine précédente à réunir 50 personnes, nous nous sentons un peu dépassés : On nous a volé notre manif !… D’autant que quand nous voulons nous placer en tête du cortège - cette manifestation n’est-elle pas destinée à nous soutenir ? -, nous sommes fraîchement accueillis par les organisateurs. Des discussions s’ensuivent : qui marchera en tête ? Quels seront les slogans ? En quelques minutes nous passons du rêve à la réalité. Il est convenu que les centrales syndicales et les représentants étudiants marcheront en tête et que le slogan sera :  TRAVAILLEURS, ETUDIANTS SOLIDAIRES. En fait tout au long du défilé, ce sera une course ridicule pour ne pas se faire refouler dans les profondeurs du cortège. Ce qui finit d’ailleurs par se produire. 

Place du marché, rue du Quesnoy, rue du Paris, place du marché aux herbes, rue de Lille, place de la République, avenue Delattre de Tassigny, avenue de la gare, rue Ferrand, rue de Paris, place d’Armes, c’est une marée humaine qui déferle.
L’ambiance est bon enfant, la bonne humeur règne ; un peu comme si tous ces gens accourus à l’appel de leur syndicats étaient venus sans revendications précises, prendre en quelque sorte le vent de contestation qui se lève, ­une bouffée d’air, se défouler. Ce qui s’exprime c’est un besoin de changement, un pied de nez au pouvoir : « dix ans ça suffit » scande-t-on. « Libérez nos camarades », « C.R.S, SS » mais aussi « des sous Pompidou » sont repris par tous ; mais c’est « Ce n’est qu’un début, continuons le combat » scandé sur l’air entraînant de « 1, 2 ; 1,2,3, let’s go » qui rencontre le plus de succès . L’Internationale distillée par une voiture haut-parleur est reprise mais sans enthousiasme. C’est trop tôt. Dans deux semaines, le 28 mai, il en ira autrement
La rue de Lille, est noire de monde, un goulot d’étranglement. Rachel qui vient de rejoindre son «sauveur », trouve tout cela très amusant. En plus c’est son quartier. Voyant les curieux agglutinés au fenêtre nous leur chantons, « les bourgeois c’est comme les cochons… » Refrain aussitôt repris par tous, peut-être parce qu’il reflète mieux que le chant de 1936, l’état d’esprit du moment. Insouciance de la jeunesse face au dur réalisme des adultes et à leurs références ringardes…

Vers 18 heures 30, à la dislocation du cortège, les cafés de la place d’Armes se remplissent. L’atmosphère est à la fête.

Je souviens que je me sentais heureux, plein d’espoir. Oui c’était un début, le combat allait continuer ; mais de quoi serait fait demain ? J’avais l’avantage, en ce qui me concernait, de connaître la réponse. Pour moi demain ­au sens strict­ rimait avec « examens ». Il me fallait aller à Lille pour passer la première série des épreuves du BTS qui devaient durer toute la semaine. Aussi, je m’éloignais à regret de la fête, pour me consacrer à mon propre futur.

13 mai 2008

LUNDI 13 MAI ( Matin ) : Libérons nos camarades !

Demain l’examen. Je rejoins Jean au Lycée technique pour une ultime révision. Mais j’ai l’esprit ailleurs. Nous savons par la radio que les organisations syndicales ont lancé une grève générale de 24 heures, et que des manifestations de soutien aux étudiants doivent avoir lieu ce lundi après-midi dans toute la France. Ce qui est nouveau c’est que les lycéens sont eux aussi en grève, et semble-t-il bien organisés. Ils sont une centaine en bande devant l’entrée du Lycée Technique. Leur leader, un garçon à l’air sérieux et responsable, arbore un brassard de fortune blanc, sur lequel sont inscrites les trois lettres C.A.L. (comité d’action de Lycée). Il semble déterminé et bien tenir sa troupe. Décidément, il s’est passé beaucoup de choses ce week-end, pendant que je jouais les bossus ! Une structure aussi bien organisée n’est pas arrivée là par génération spontanée. Il y a des questions à se poser. On verra que je ne suis au bout de mes surprises.
C’est une étrange sensation d’entendre sous les platanes de l’avenue Villars, le redoutable proviseur, Monsieur Durandeau,  nous faire part à nous les grands (quand je suis devant lui, j’ai toujours douze ans !)­ de son souci du moment : Ces jeunes gens ont décidé d’aller au Lycée Watteau délivrer leurs homologues féminines injustement bouclées dans l’établissement, par une direction réactionnaire. En fait les enseignants s’étant mis là aussi en grève, la direction ne pouvant laisser partir ses élèves dans la nature, a fermé les portes de l’établissement et assure une permanence jusqu’au soir. Il est inquiet, Monsieur Durandeau : « Est-ce que vous pourriez les accompagner, afin de veiller à ce qu’ils ne fassent pas de bêtises » nous demande-t-il comme un service. ­Vous pouvez compter sur nous…

eleves watteau_1


Lorsque nous arrivons par Place Verte (rue des Capucins), des grappes de jeunes filles, s’étant débarrassées de leurs blouses beiges, dégringolent des fenêtres qui sont très hautes de ce côté, atterrissant dans les bras de nos valeureux lycéens. Et si elles allaient se rompre le cou ? Soucieux d’éviter des accidents, nous prêtons la main. C’est ainsi que Rachel me tomba pour ainsi dire dans les bras et que nous fîmes connaissance. Nous devions souvent nous revoir pendant les deux semaines qui suivirent.

 

11 mai 2008

DIMANCHE 12 MAI : Julie Driscoll

Pose dominicale ; le temps suspend son vol. Je sens que la semaine qui s’annonce sera décisive : avec les événements du quartier latin, nous venons de franchir un palier. Je ne doute pas qu’avec le soutien des syndicats ouvriers, le mouvement va prendre une nouvelle dimension, à n’en pas douter révolutionnaire. Décisive elle le sera doublement pour moi, puisque c’est mardi que vont commencer, à Lille, les épreuves du B.T.S.

Après-midi, coulisses du Caméléon. Julie Driscoll secondé par son partenaire organiste Brian Auger, s’apprête à donner son concert sous l’égide du Club N°1. Ici les ouvriers avec qui nous devons fraterniser demain, ne sont pas une vue de l’esprit ; ils sont là bien réels dans la salle de ce grand dancing de 2.000 places ; sortis des usines de la vallée de l’Escaut.

julie-driscoll-2Je ne sais pas dans quelle banlieue ouvrière anglaise a grandi « Jools » ainsi qu’on la surnomme, ni même si elle vient d’un milieu ouvrier. En tout cas elle arbore à son arrivée une casquette à la Gavroche sur ses mèches folles. Intimidée de se trouver au milieu de tous ces gens qu’elle ne connaît pas et dont elle ne comprend pas la langue elle s’efforce d’être aimable. Sur scène, elle retrouve ses marques, soutenue par Brian Auger son compagnon, organiste de choc. Affublée d’une robe couleur prune, sans doute dénichée à Portobello Market, elle distille de sa voix puissante, un rythm’n’blues qui a peu à envier à celui des chanteurs noirs de la Stax, esquissant même quelques figures de la mort du cygne du meilleur effet. « Save me, somebody to save me ». Grand succès. Plus tard, en coulisse, assaillie par ses admirateurs, ne sachant sur quoi s'appuyer pour signer des autographes, elle me demande de lui prêter mon dos ! "Touchez ma bosse Madame !". Me voilà transformé en bossu de la rue Quincampois ! Pas de doute la Révolution approche !…

 

11 mai 2008

SAMEDI 11 MAI : Réveil difficile

Réveil et stupéfaction. La France profonde, qui n’a pas écouté la radio hier soir et n’avait jusqu’alors prêté qu’une attention amusée à la révolte estudiantine, sent un désagréable frisson lui courir le long de l’échine. Ce n’est pas la couverture de France-Soir exposée sur un présentoir devant la Maison de la Presse, rue de la Vielle Poissonnerie, qui va la rassurer !

ruegaylussac_1En pleine page, une vue plongeante de la rue Gay-Lussac au petit matin montre des carcasses de voitures renversées en travers de la rue – certaines calcinées – à l’arrière plan, une épaisse colonne de fumée noire monte de St-Germain des Prés. Les commentaires ne sont pas faits pour rassurer : scènes de guerre, le drapeau rouge, le drapeau noir, dans les rues de Paris ! …

Ce que je découvre moi, c’est la violence de la répression. La police gaullienne a montré en pleine lumière (des feux de voiture) son vrai visage. Dans le petit matin la chasse aux pétroleurs est commencée. Mais aussi les barricades ont fleuri sur le pavé de Paris. Les premières depuis la libération. Mais cette fois-ci ce sont les CRS qui sont les SS.

Je me rends à Condé au Caméléon. C’est que demain, Julie Driscoll, la chanteuse anglaise de Rythme&Blues – une vedette – se produira lors d'un concert patronné par le Club n° 1.
Eugène Bernhart, le patron de l'établissement, n’est pas très présentable : les yeux bouffis, le visage maculé de peinture bleue il ressemble à  à Jean-Paul Belmondo dans « Pierrot le Fou » [1] Il a passé la nuit à peindre le plafond de son immense dancing. Et il ignore tout  des évènements du quartier latin. Il n’avait pas enmené de transistor, lui !…

270-b-pierrot-le-fou

Moyenne

Petite

 


[1] Sur l’affiche du film de Godard, Jean Paul Belmondo a la figure peinte en bleu.

10 mai 2008

VENDREDI 10 MAI : Dans la chaleur de la nuit... *

Journée marquée par l’étape des « 4 jours de Dunkerque » à Valenciennes.

Du point de vue des événements, cette journée est un temps mort, une attente. Après la manifestation d’hier, le mouvement va-t-il s’essouffler ? C’est à ce moment que la radio, notamment RTL, nous permettant de suivre en direct ce qui se passe au quartier latin, commence à jouer un grand rôle… 

6 mai radios (JOHNSSON PHILIPPE- SIPA)

S’il y avait eu des stratèges dans le mouvement étudiant – ce que personnellement je ne crois pas –  ils auraient eu intérêt à faire monter la pression au moment où, le premier Ministre étant absent, ses collaborateurs, Peyreffite, Roche et les autres allaient se sentir désarmés. Confusément, je sens qu’il va se passer quelque chose. Peut-être l’espérai-je ? « Soyez réalistes ; croyez à l’impossible » n’était pas encore le slogan de mai 68, mais cela semblait s’inscrire dans une certaine logique, la logique historique. Le barrage est en train de craquer, plus rien ne pourra arrêter le fleuve.…

Comme par hasard, l’histoire n’étant qu’une superposition de coïncidences, une grande manifestation ouvrière, réunissant tous les syndicats (y compris des associations comme la J.O.C), était prévue le lendemain à Lille) à propos je crois de la réforme de la Sécurité Sociale. Je voudrais bien y aller, mais il me faut convaincre un copain « motorisé » de m ‘accompagner. Ça n’est pas gagné !…
Cependant Poulidor remporte l’étape du jour contre la montre.

Rentré chez moi pour dîner, je compte bien redescendre en ville pour assister au spectacle public. Il y a les Enfants Terribles au programme. Sur R.T.L il est question de manifestation au quartier latin. Ça semble dégénérer. Je descends tout de même en ville, mais en emmenant mon transistor dans la sacoche de ma bicyclette.Place d’Armes la fête bat son plein. Sur le podium de la « Voix du Nord » dressé devant l’Hôtel de Ville, les attractions se succèdent. Mais ce que j’entends sur mon poste me paraît bien plus important. C’est du direct, les commentateurs sont dans l’action, ils ont le souffle court. On a dit le rôle joué par les radios ce soir là. Combien de Français écoutaient R.T.L ? Les étudiants occupent le Quartier Latin ; les accrochages se multiplient ; les premières barricades sont édifiées, on entend les détonations des grenades lacrymogènes. Une grande forte fille sympathique, rencontrée un quart d'heure plus tôt au FRANÇAIS, me trouve bien à son goût, et ne me quitte plus. Elle m’a attrapé la main et se serre contre moi. Sans doute trouve-t-elle que je lui témoigne peu d’attention ? Debout au milieu de la place face au podium, le transistor collé à l’oreille, j’entends pour la première fois la voix de Cohn Bendit. Un  porte-voix en main,  il essaie de calmer ses troupes : 
– les barricades sont faites pour se cacher derrière ; pas pour monter dessus !…

 

« les_enfants_terriblesSur le podium, d’autres « enfants terribles » chantent la belle poésie française.

« C'est la vie qui nous mène

Dilinding diding qui nous traîne

Dilinding diding qui nous sème

Dilinding, diilinding, dilinding

Je t'aime, tu m'aimes, on s'aime… »

 

Note sur mon cahier : Au l’instant même où j’écris ces lignes (21 août 1968, 15:30),  j’entends sur le même transistor que les troupes du pacte de Varsovie sont entrées en Tchécoslovaquie.

 

Alain Gesmar ( secrétaire général du Sene-Sup ) entre incidemment en contact avec le recteur Roche sur l’antenne de R.T.L :
« Je suis disposé à vous rencontrer dans mon bureau si vous le désirez.

        Alors faites évacuer les forces de police qui cernent la Sorbonne !
Dialogue de sourds.

        La décision ne dépend pas de moi, mais du ministre. Je vais essayer de le joindre »

       Monsieur le Recteur, il n’y aura pas de discussion possible tant que nos camarades seront en prison. Tant qu’il y aura d’un côté des étudiants et de l’autre des forces de police, je resterai du côté des étudiants. »

geismar 6 mai (DALMAS-SIPA)

 Les protagonistes sont en place pour la première nuit des barricades.

Comme il ne se passe plus rien d’important, je vais me coucher, convaincu que le soleil qui se lèvera demain sur Paris sera plus rouge que d’habitude. Eclairera-t-il des barricades montées dans la rue ?

 

* In the heat of the night : (1967)  film de  Norman Jewison. With Sidney Poitier, Rod Steiger, ...  5 ocscar

 

 

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